Experts d’assurance IARD, quel état des lieux ?

expert assurance

Au cours des six derniers mois, le secteur de l’assurance IARD (Incendie, Accidents et Risques Divers) – et en particulier le métier des experts d’assurance – a connu d’importants bouleversements. Sinistralité climatique record, inflation des coûts, transformation numérique et évolutions réglementaires façonnent désormais le quotidien de ces professionnels. Les publications spécialisées (notamment L’Argus de l’Assurance et La Tribune de l’Assurance) ont abondamment traité de ces sujets, offrant un panorama riche et complémentaire : L’Argus apporte une analyse chiffrée et institutionnelle, tandis que La Tribune relaie davantage les retours d’expérience du terrain. La lecture croisée de ces sources permet d’identifier les tendances clés et les défis auxquels font face les experts d’assurance IARD en cette période.

 

Tendances marquantes des 6 derniers mois

  • Sinistralité climatique et inflation des coûts en forte hausse. Les événements climatiques extrêmes se multiplient, entraînant un afflux de dossiers pour les experts. En 2023, le réseau Ixi Groupe a traité 10 800 expertises « catastrophes naturelles », un niveau record représentant +25% d’activité par rapport à 2019. Plus de la moitié de ces interventions étaient liées à des épisodes de sécheresse (retrait-gonflement des sols argileux), un type de sinistre particulièrement complexe et coûteux à évaluer. Début 2024, de nouvelles inondations en métropole et deux cyclones à La Réunion ont encore sollicité massivement les experts, faisant craindre un embouteillage des expertises au printemps.

Parallèlement, l’inflation économique générale alourdit le coût moyen des sinistres. Par exemple, le coût des sinistres des professionnels et entreprises en assurance dommages a bondi de +9% sur un an en 2024. Florence Lustman, présidente de France Assureurs, souligne que sur vingt ans le montant des indemnisations en habitation a explosé (+134% pour les dégâts des eaux, +47% pour les incendies). Cette conjoncture met sous tension la rentabilité des assureurs IARD et renforce la pression sur les experts pour contenir les dérives de coûts tout en maintenant la qualité du service aux sinistrés.

  • Transformation numérique et innovation de l’expertise. Sous la double contrainte de la charge de travail et des attentes clients, le secteur accélère sa digitalisation. Les grands assureurs généralisent l’expertise à distance, permettant aux assurés d’envoyer photos ou vidéos de sinistre et de suivre l’avancement de leur dossier en ligne en temps réel. De plus, l’intelligence artificielle (IA) et l’automatisation deviennent des alliées précieuses pour traiter plus vite les petits sinistres. On utilise par exemple des algorithmes de vision par ordinateur pour analyser des images de dégâts, ou des robots (RPA) pour pré-remplir des rapports, ce qui réduit les délais et le risque d’erreurs humaines. Ces outils aident aussi à détecter plus efficacement les fraudes et à anticiper les pics de sinistralité. L’objectif est clair : accroître l’efficacité opérationnelle tout en améliorant l’expérience des assurés. D’ailleurs, 34% des assurés français citent la rapidité d’indemnisation comme leur priorité absolue. Les experts d’assurance doivent donc conjuguer expertise technique et nouvelles technologies pour répondre à cette exigence de rapidité et de transparence.
  • Émergence de nouveaux risques et évolutions réglementaires. Le périmètre d’intervention des experts IARD s’élargit avec l’apparition de risques émergents. Les sinistres liés aux cyberattaques se multiplient, nécessitant des experts spécialisés en incidents informatiques. Des problématiques inédites, comme la gestion de dégâts causés par des polluants persistants (type PFAS) ou les pannes complexes sur installations d’énergies renouvelables, commencent à apparaître dans les portefeuilles des assureurs. Cette diversification oblige les experts à se former en continu pour rester compétents face à des sinistres hors normes. Sur le plan géographique, les catastrophes majeures à l’international (ouragans, tremblements de terre, grands scandales industriels) ont aussi un impact indirect en France via les programmes de réassurance et le retour d’expérience partagé au sein de groupes d’expertise mondiaux.

En réponse à ces défis, le cadre assurantiel se transforme. Les pouvoirs publics ont engagé une réforme du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (Cat Nat). Fin 2024, le Sénat a adopté à l’unanimité un projet de loi visant à pérenniser ce régime solidaire : il prévoit notamment une augmentation automatique de la surprime Cat Nat pour suivre l’envolée des sinistres climatiques. Il était temps, car la branche Cat Nat des assureurs français avait été déficitaire neuf années de suite, avec un coût des sinistres climatiques en hausse de +20% sur le seul premier semestre 2024. Par ailleurs, la profession travaille à renforcer la certification des experts sur les dossiers les plus techniques. Suite aux polémiques sur la lenteur de traitement des sinistres de sécheresse (maisons fissurées), un agrément spécifique « expert sécheresse » est à l’étude afin de garantir la compétence et l’impartialité des intervenants. L’Organisme pour le registre des experts et les fédérations du secteur encouragent ces initiatives, gages d’une meilleure confiance du public.

Défis actuels pour les experts d’assurance IARD

Compte tenu de ces tendances, les experts d’assurance IARD font face à plusieurs défis majeurs :

  • Surcharge de travail et pression temporelle. La fréquence et l’ampleur inédites des catastrophes récentes mettent les experts sous forte tension. Les cabinets doivent gérer des pics d’activité quasi-constants, d’où un risque d’engorgement des dossiers et de retard dans les expertises. Cela se traduit parfois par l’insatisfaction des sinistrés qui attendent l’indemnisation de leur foyer ou entreprise sinistrée. Pour soulager leurs équipes, les principaux réseaux d’experts ont mis en place des cellules de crise et mobilisent des renforts ponctuels, voire font appel à des retraités expérimentés en intérim lors des évènements majeurs. La prévention est également mise en avant pour atténuer la sinistralité : France Assureurs plaide pour une culture renforcée de la prévention chez les assurés afin de réduire l’occurrence et la gravité des sinistres.
  • Exigences accrues des assurés et image de la profession. Les clients, habitués à la rapidité des services numériques, tolèrent de moins en moins les lenteurs ou les mauvaises surprises dans l’indemnisation. Chaque contretemps peut ternir l’image de l’expert, souvent perçu (à tort) comme un représentant des assureurs cherchant à minimiser les remboursements. Les médias se sont fait l’écho de mécontentements, notamment sur les dossiers de sécheresse où des sinistrés ont dénoncé la longueur des procédures. Conscients de ces attentes, les experts redoublent d’efforts en communication et pédagogie lors de leurs interventions, expliquant leurs conclusions et conseillant les victimes sur les étapes suivantes. La profession a également initié des formations supplémentaires (par exemple sur la pathologie du bâti liée à la sécheresse) pour homogénéiser les pratiques et éviter les erreurs. L’enjeu est de restaurer la confiance : un sinistré bien informé et accompagné aura tendance à mieux accepter le dénouement de son dossier, même en cas de délai ou de désaccord sur le montant.
  • Recrutement et renouvellement des compétences. Un défi plus structurel touche le secteur de l’expertise : le renouvellement de ses effectifs. La pyramide des âges indique de nombreux départs à la retraite imminents parmi les experts les plus chevronnés, dans un contexte où les besoins explosent. Attirer et former la nouvelle génération d’experts est donc crucial. Les cabinets innovent en valorisant la diversité des missions (incendies, climatiques, technologiques, etc.) pour rendre le métier attractif, et en proposant des évolutions de carrière claires. Certains adoptent même des modèles inédits – par exemple, le cabinet français CPA a choisi le statut de SCOP (société coopérative) afin d’associer ses experts à la gouvernance et fidéliser les talents sur le long terme. Parallèlement, les cursus de formation spécialisés se multiplient et les outils de tutorat interne sont renforcés pour accélérer la montée en compétence des recrues. Investir dans le capital humain est indispensable pour que la profession puisse absorber les chocs à venir et transmettre son savoir-faire.